Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
Comment expliquer au monde qu’un programme initié par les États-Unis depuis 1967, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, permet à la Corée du Nord de devenir une puissance nucléaire?
Des erreurs se sont insérées dans l’ensemble des négociations portées par les États-Unis. Elles mènent à un cul-de-sac diplomatique, qui pourrait dégénérer par la suite dans un conflit militaire.
Vingt-trois ans se sont écoulés depuis quand la Corée du Nord et les États-Unis négocient une entente pour que le pays asiatique abandonne son programme nucléaire. Deux grands cadres opératoires ont été mis en place pour atteindre le but de la négociation : le premier était celui qui comprenait les six pays concernés, la Corée du Nord, d’un côté et tous les autres pays qui étaient des cibles potentielles pour ses missiles et armes nucléaires de l’autre côté, soit la Corée du Sud, le Japon, la Chine, la Russie et les États-Unis.
Depuis 2004, la configuration mentionnée s’est considérablement réduite, le seul interlocuteur des Nord-Coréens étant les États-Unis. Les objectifs du processus lancé depuis presque un quart de siècle demeuraient toujours les mêmes, indépendamment du format des pourparlers (6 contre 1 ou 1 contre 1). Ainsi, la Corée du Nord faisait des garanties de sécurité le point nodal de ses propositions. D’autres éléments étaient également insérés par le régime nord-coréen tout au long des discussions : signature d’un accord de paix plus compréhensif avec la Corée du Sud, le maintien d’un système international plus stable dans l’Asie du Nord-Est, la normalisation de la relation avec les États-Unis et, finalement, l’élimination du pays de la liste qui le désignait comme « exportateur de terrorisme ».
Les diplomates nord-coréens étaient astucieux; ils essayaient sans relâche de diviser le bloc formé par ses contreparties. À plusieurs moments, quand les délibérations se dirigeaient en ligne droite vers un accord, la Corée du Nord se retirait unilatéralement de la table de négociations, en invoquant des conditions inacceptables auxquelles elle était soumise. Le moratoire qu’elle imposait était accompagné d’un lancement de missiles, message lancé au monde et à sa population que le régime sortait gagnant après de longues batailles diplomatiques. La stratégie de la Corée du Nord reposait sur deux facteurs clés employés simultanément, soit la prolongation sine die des négociations, qui lui donnait les marges de temps nécessaires pour perfectionner son arsenal et la légitimation, obtenue tacitement, du fait que le pays dispose de l’arme nucléaire.
Comment expliquer au monde qu’un programme initié par les États-Unis depuis 1967, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, permet à la Corée du Nord de devenir une puissance nucléaire?
Ces éléments constituaient alors une modalité efficace pour diluer la substance de toute négociation entreprise avec les États-Unis, dont le leadership sur le dossier nucléaire était mis à rudes épreuves. Comment expliquer au monde qu’un programme initié par les États-Unis depuis 1967, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, permet à la Corée du Nord de devenir une puissance nucléaire? Quelle serait alors la base de négociation avec d’autres pays qui visent à devenir des puissances nucléaires (l’Iran, par exemple)? Des erreurs se sont insérées dans l’ensemble des négociations portées par les États-Unis. Elles mènent à un cul-de-sac diplomatique, qui pourrait dégénérer par la suite dans un conflit militaire. Une date butoir pour mettre fin aux négociations, combinée à une pression adéquate (compris ici comme manière de faire plier la volonté de l’interlocuteur pour rompre ainsi l’équilibre psychologique qui s’installe dès le début) auraient permis, assez tôt, de dégager des pistes de solution pour l’application immédiate des résultats convenus. Or, la brèche créée par les Nord-Coréens à l’intérieur de l’équipe des négociateurs multilatéraux misait exactement sur ces faiblesses.
Plus tard au fil des années, en 2009, un autre facteur s’invite insidieusement dans les négociations, la détérioration de la relation entre la Chine et la Corée du Nord. Avec une subtilité plutôt rare, les Nord-Coréens inculquent aux négociateurs américains le sentiment que leur programme vise, en fait, une émancipation de la tutelle chinoise, devenue insupportable, tant en termes politiques qu’économiques. Ce stratagème explique aujourd’hui les derniers mouvements diplomatiques du gouvernement chinois, qui se circonscrivent autour d’une approche de pénalisation envers la Corée du Nord : le vote pour les sanctions au sein du Conseil de sécurité, réduction des importations en provenance de la Corée du Nord et l’annonce d’une neutralité affichée au cas où le régime de Pyongyang déclenche des hostilités militaires envers les États-Unis. La dépendance économique quasi totale que la Corée du Nord a développée au fil des ans face à la Chine (80 % des exportations sont destinées au marché chinois) oblige cette dernière de jouer le rôle de « courtier de pouvoir » pour le régime de Kim Jong. Les États-Unis ont saisi les opportunités qui s’ouvrent devant eux et au moment de l’escalade de la tension des derniers mois ont demandé au « courtier » de régler ce problème épineux. Ce calcul tactique élaboré par le gouvernement américain lui confère plusieurs avantages stratégiques :
L’établissement d’un consensus multilatéral. Les États-Unis confèrent à la Chine une position de coresponsabilité pour résoudre le dossier. Si, dans le futur immédiat, la Chine se trouve dans l’impossibilité de trouver une solution pacifique au différend, une intervention militaire américaine pourrait être envisagée. Cela permettrait aux États-Unis de projeter leur puissance dans l’une des régions les plus dynamiques du monde, convoitée par les grands investisseurs privés et institutionnels. Une influence américaine accrue sur le flux commercial dans toute la zone de l’Asie, principalement sur la côte ouest, contribuerait à la mise en place de la devise électorale « Put America first ».
La restauration de sa crédibilité au plan international. En cas d’échec de la diplomatie de dernier recours, les États-Unis montrent aux alliés dans la région, surtout à la Corée du Sud et au Japon, qu’ils restent encore un partenaire fiable, digne de confiance et disposant d’une capacité militaire indispensable pour assurer l’équilibre dans la région. Dans ce contexte, la Corée du Sud envisage une réunification immédiate, sous ses auspices, avec le voisin du Nord, pour continuer ensemble le cours historique abruptement interrompu pendant la guerre froide. Le Japon, déjà irrité par les manœuvres chinoises dans la Mer de Chine du Sud, qui sont perçues par certains comme un préambule de révisionnisme chinois de nature historique, bénéficiera du support technique américain afin d’intercepter tout missile qui traverserait son espace aérien.
L’envoi d’un signal fort au niveau international (avec une réverbération particulière en Iran). Un tel avertissement sera perçu à sa juste mesure par la crainte propagée dans les rangs des pays qui ne se soumettent pas à l’ordre imposé.
Dans le prochain texte, nous nous pencherons sur les caractéristiques potentielles d’une frappe militaire américaine ainsi que sur la modification qu’elle apporterait à l’ordre asiatique.
*Articolul a fost publicat initial aici.