Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
Les actions nord-coréennes sans réponse adéquate sont pour le moment l’équivalent d’une guerre de guérilla dont on connaît le postulat : elle est gagnée si elle ne perd pas.
La menace qui pèse sur les États-Unis et ses alliées doit être enlevée en l’occurrence, mais sans dépouiller les Nord-Coréens de tout leur arsenal militaire.
Le seul défi auquel les États-Unis devraient faire face dans le différend avec la Corée du Nord réside dans la capacité à gérer les conséquences qui surviennent à la suite d’une éventuelle intervention militaire. Un acte de guerre contre les Nord-Coréens ne représente pas un enjeu en soi puisque la supériorité américaine est écrasante. Malgré sa capacité de frappe, l’adversaire n’est pas de taille, comme ce fut, par exemple, l’Union soviétique à l’époque de la Guerre froide, bien au contraire.
Une attaque préemptive américaine (c’est-à-dire le déclenchement des opérations militaires, parce qu’on croit à l’imminence d’une attaque de la part de l’ennemi) pourrait se faire avec des armes conventionnelles. L’objectif, en l’occurrence, est d’infliger des pertes qui mettraient l’adversaire dans l’impossibilité de réagir avec violence, comme l’envoi des missiles. Autrement dit, les États-Unis, lorsqu’ils décident de frapper, doivent s’assurer qu’ils ciblent les installations militaires nord-coréennes en vue de leur neutralisation et que les pertes civiles soient réduites au minimum. La menace qui pèse sur les États-Unis et ses alliées doit être enlevée en l’occurrence, mais sans dépouiller les Nord-Coréens de tout leur arsenal militaire. Cela comporterait la radicalisation d’un sentiment de frustration, dont la présence lors de la reprise des pourparlers pourrait nuire au processus de paix qui redémarrera après l’intervention. En général, la recherche de la paix devra créer des conditions de stabilité relatives dont le but ultime serait de ne plus recourir aux armes conventionnelles et même nucléaires. La réinsertion de la Corée du Nord dans le système international se ferait dans un cadre susceptible d’offrir les arrangements minimes pour que son évolution ultérieure élimine d’emblée sa volonté d’agir excessivement sur la scène internationale régionale et mondiale.
Toutefois, cette réintégration ne se déroulera pas de manière cohérente, puisque l’ordre actuel qui règne dans la zone asiatique est plus complexe que celui qui est transatlantique, dont les rouages fonctionnent dans un paramètre assumé par les intervenants. Fait surprenant, c’était les Européens (lors de leurs expéditions dans l’Extrême Orient) qui ont utilisé en premier le mot « Asie », pour designer cette partie du monde, puisque le terme n’existait pas dans aucune langue parlée dans le coin! Le système politique qui caractérise l’état de relations entre les pays dans la région est basé sur la doctrine de la poursuite de l’intérêt national avec persévérance et, quand il le faut, avec le recours à la force.
Malgré le succès économique fulgurant qui propulse l’espace de l’Asie – Pacifique parmi les zones de prospérité les plus convoitées du monde, les relations commerciales ne constituent pas un fondement politique pour une évolution dans des blocs plus intégrés (comme l’Union européenne ou l’ALENA, dans une certaine mesure). L’absence d’un tel cadre s’explique par la construction de la société asiatique au cours des siècles. Son édification privilégiait l’établissement des rapports hiérarchiques entre les différentes puissances, au détriment des partenariats horizontaux. Cet aspect représente le point de rupture entre le parcours du monde transatlantique et le chemin évolutif de celui asiatique.
Si, dans le système occidental, des efforts sont déployés pour distribuer les formes de puissance sur une base libérale qui tende vers un système de droit qui promeut l’égalité entre les pays souverains, dans celui asiatique, prédominante fut la répartition des avantages pour l’entité qui se trouvait au sommet de la structure verticale de commande
Si, dans le système occidental, des efforts sont déployés pour distribuer les formes de puissance sur une base libérale qui tende vers un système de droit qui promeut l’égalité entre les pays souverains, dans celui asiatique, prédominante fut la répartition des avantages pour l’entité qui se trouvait au sommet de la structure verticale de commande. Tous les autres pays sont tributaires à l’état le plus puissant. À tour de rôle, les états embarquaient dans ce type de pratique. Le cas du Royaume de Ryukyu est le plus suggestif en ce sens, puisqu’il versait une contribution financière – avant sa dissolution en 1879- parfois à la Chine, parfois au Japon.
Il est évident que ce rapport de force transcende les siècles et prend des formes adaptées à nos jours. La politique étrangère des pays de la zone asiatique diffère foncièrement d’un gouvernement à l’autre et la balance de pouvoir existante est en danger permanent de se déséquilibrer en faveur de l’acteur international le plus fort. Apparemment, la Chine, puissance nucléaire et économique, est le pays qui aspire le plus au statut de playmaker dans la région. Pourtant, elle ne vise ni l’hégémonie mondiale ni l’exportation de son modèle (pas applicable ailleurs, de toute façon). Son objectif primordial est de s’assurer que les pays situés dans son voisinage immédiat ne s’allient pas pour la déstabiliser (les derniers conflits militaires qu’elle a eus avec l’Inde en 1962 et le Vietnam en 1979 nous rappellent comment elle réagit quand les tensions dans sa proximité géographique montent). En plus, sa pensée philosophique est décourageante pour les adeptes d’un mode tranchant de régler les disputes puisque, dans la culture chinoise, tout règlement d’un dossier n’amène pas une solution définitive, mais bien un autre lot de problèmes!
Le Japon, qui se voit menacé dernièrement par les missiles nord-coréens, ne jouit pas d’une alliance militaire très bien structurée avec les États-Unis à cause d’un manque de capacité militaire offensive.
Le Japon, qui se voit menacé dernièrement par les missiles nord-coréens, ne jouit pas d’une alliance militaire très bien structurée avec les États-Unis à cause d’un manque de capacité militaire offensive. L’absence des armes nucléaires de sa panoplie militaire lui confère une position de faiblesse face à la Chine. La situation trouve des similitudes dans la péninsule coréenne puisque les Sud-Coréens, eux aussi, sont dépourvus de l’arme nucléaire. Leur posture est encore plus fragile à cause de la force militaire disproportionnée dont le voisin du Nord dispose.
Dans ces conditions, avec des alliés qui subissent les menaces incessantes de la Corée du Nord, les États-Unis sont obligés à les défendre en mettant sous contrôle l’arsenal nord-coréen. Le contexte actuel (vote unanime dans le Conseil de Sécurité, l’opinion publique interne et externe acquise en sa faveur) leur servira du subterfuge pour équilibrer la puissance chinoise, en renforçant la trilatérale avec le Japon et la Corée du Sud.
La présence américaine dans la région ne fera que reconfigurer l’ordre asiatique selon ses règles ancestrales.
La présence américaine dans la région ne fera que reconfigurer l’ordre asiatique selon ses règles ancestrales. Les États-Unis remplaceront la Chine à la tête de la hiérarchie plus ou moins symbolique qui règne, en élargissant en plus sa base d’alliées (par imposition d’un régime ami à Pyongyang ou à la suite d’un processus de réunification de la péninsule coréenne). Leur présence en Pacifique sert à la diminution de l’influence chinoise dans l’ouest du Pacifique et au maintien du contrôle des routes commerciales et des programmes de coopération économique qui lui conviennent.
Éviter le fait que la prééminence chinoise dans le Pacifique découle dans une forme de subjugation des intérêts de toutes les autres aux objectifs de politique étrangère de la Chine, c’est une nécessité fondamentale pour les États-Unis à moyen et long terme.
Les actions nord-coréennes sans réponse adéquate sont pour le moment l’équivalent d’une guerre de guérilla dont on connaît le postulat : elle est gagnée si elle ne perd pas. L’incertitude qui règne quant à la riposte américaine laisse une marge de manœuvre aux véritables leaders puisque c’est dans ces circonstances particulières que leur culture politique sert à déceler les opportunités qui émergent dans les calculs de probabilité sur un ordre asiatique en pleine mutation.
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