Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
La tâche la plus difficile qui attend Angela Merkel pour son dernier mandat est celle de porter l’Europe à un tel niveau d’influence mondiale que la préservation de l’ordre libéral ne soit jamais en danger pour les décennies à venir.
La chancelière allemande Angela Merkel n’avait pas l’intention de se représenter de nouveau pour ces élections. Il y a quelques années, d’autres options étaient envisageables pour l’Union chrétienne-démocrate (CDU), parti autour duquel gravite le pouvoir politique en Allemagne depuis plusieurs décennies, en ce qui concerne la candidature au poste de chancelier, équivalent à notre fonction de premier ministre (même si le système électoral est foncièrement différent par rapport à celui de type Westminster, adopté par le Canada). Le résultat des élections américaines a déterminé un changement de tactique pour les défenseurs de l’ordre libéral mondial qui voyaient en Allemagne le rempart ultime de la montée du populisme au sein du bloc transatlantique (la France était encore, au début 2017, dans la mire du même courant avec la montée du Front national).
L’establishment nord-américain, avec le président Obama (suivi par le premier ministre Justin Trudeau) qui agissait en fer de lance, a réussi à convaincre Mme Merkel de briguer un quatrième mandat, pour la simple raison qu’elle était considérée le leader le plus apte à s’opposer à une possible coalition Russie – États-Unis, dont nous allons avoir des éléments constitutifs quand les enquêtes enclenchées au niveau de l’administration américaine à cet égard seront terminées. Les positions très franches déjà exprimées par Mme Merkel par rapport au nouveau leadership américain ou en faveur du maintien des sanctions envers la Russie confirment son caractère fort, décidément forgé sur des valeurs sûres et fiables.
D’où vient cette idée des libéraux nord-américains de miser sur la continuité et la stabilité représentées par la figure de Mme Merkel?
Berlin est actuellement la capitale d’un pays qui est incontestablement, le chef de file de la politique européenne.
Sans doute, l’importance de la position géostratégique et géoéconomique que l’Allemagne occupe sur l’échiquier mondial est la base fondamentale de tout raisonnement élaboré par les stratèges internationaux. Berlin est actuellement la capitale d’un pays qui est incontestablement, le chef de file de la politique européenne. Soumis à des divisions dont les plaies diminuent visiblement, Berlin fut la capitale la plus convoitée par l’Union soviétique à l’époque de la Guerre froide. Les mémoires d’Anatoly Dobrynin, l’ambassadeur soviétique à Washington pendant la gouverne de six administrations présidentielles différentes, rappellent les pressions subies par les Américains pour transférer Berlin intégralement sous le contrôle du régime communiste (la ville était divisée en quatre parties dont trois sous le contrôle des Alliés – les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France tandis que la partie restante revenait aux Soviétiques). Le seul exemple similaire de revendication d’un territoire avec une telle fermeté est celui de Taiwan, mentionné à chaque round de discussion sino-américaine.
La chute du mur de Berlin, en 89, juxtaposée avec la vision du chancelier Helmuth Kohl (le mentor de Mme Merkel au début de sa carrière politique) qui s’imaginait une Allemagne réunifiée sous les auspices de la liberté et dépourvue de toute tutelle étrangère. Cette étape se traduit par une influence grandissante surtout en Europe de l’Est, où les pays qui s’émancipaient du joug imposé par les Russes après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, concevaient l’Allemagne (et non pas la France, comme on s’attendrait) comme le leader à suivre pour s’ancrer définitivement dans la nouvelle Europe. L’évolution ultérieure du pays crée un environnement propice pour servir ses intérêts sur la scène internationale, où elle devient à la fois un hégémon économique (premier exportateur mondial, y compris pour les produits à forte valeur ajoutée et un surplus commercial en sa faveur des plus enviables au monde) et un partenaire de confiance dans plusieurs dossiers chauds (l’accord nucléaire avec l’Iran, fournisseur d’intelligence de première classe pour différentes missions des pays de l’OTAN, etc.).
La consolidation des acquis obtenus se réalise par la présence dans des théâtres d’opérations au Mali, en Afghanistan et Lituanie. Cela nous laisse croire que la réélection de Mme Merkel consacrera l’engagement de l’Allemagne dans le domaine de la sécurité internationale (la demande d’il y a quelques jours pour être à la table des négociations sur le nucléaire nord-coréen est une preuve en ce sens). Deux grands chantiers s’ouvrent à cet effet, soit la Politique européenne de sécurité et défense (la PESD) et le Mécanisme européen de stabilité qui existent déjà au niveau de l’Union.
La PESD se veut un instrument de sécurité complémentaire à l’OTAN, vouée à répondre au besoin en matière de sécurité, avec des moyens civils et militaires, en dehors de l’espace de l’Union européenne. Avec les critiques de plus en plus fortes adressées à l’OTAN par l’administration Trump, on se pose la question si la PESD n’est pas en train de devenir un substitut au partenariat transatlantique plutôt qu’un outil connexe. Le fait que l’Allemagne ne contribue pas avec le 2 % à l’effort financier exigé par le fonctionnement de l’OTAN en dit long sur l’intention de la chancelière.
Quant au Mécanisme européen de stabilité, il pourrait revêtir un nouveau rôle, agrée par l’éminence grise Wolfgang Schauble, le ministre des Finances du gouvernement allemand, celui de substitut du Fonds monétaire international, supposé à agir pour contrer toute crise économique en Europe. L’apparition d’un super-ministre des Finances européen est une idée envisageable dans la mesure où de nouveaux pouvoirs conférés par des Traités qui régissent l’UE lui permettraient d’appliquer les règles fiscales dans tous les pays de l’Union. Toutes ses ambitions peuvent se réaliser à la condition que l’Allemagne continue cette relation qu’elle a su construire, pendant des décennies, avec la France. Cette préfiguration est possible, d’autant plus que la France dispose d’un levier militaire dont l’Allemagne est privée pour des raisons que l’on connaît. L’absence d’un tel outil s’avère un vrai désavantage pour un pays qui n’aspire pas à une hégémonie continentale (ou mondiale) sur une base militaire, mais qui doit répondre dans les années à venir à cette question : comment harmoniser l’admiration et le respect que beaucoup de pays lui portent (des sondages indiquent que l’Allemagne est le pays le plus populaire au monde) avec la méfiance de certains pays face à l’ordre libéral si cher aux Allemands? Jusqu’où est-elle disponible d’aller dans son intransigeance face à la Russie? Quel sera le rapport avec son protecteur atlantique dans les nouvelles circonstances?
Le succès de ce pays réside, depuis trois quarts de siècle, dans la qualité exceptionnelle de ses politiciens qui se sont succédé à la chancellerie : de Konrad Adenauer (qui a refusé la proposition de l’Union soviétique dans les années ’50 d’une réunification sous l’égide de l’URSS) à Helmuth Schmidt (une personne d’une profonde vocation humaniste), de Helmuth Kohl (on lui doit l’instauration de la zone euro et le savoir prouvé à marcher sur un équilibre très précaire entre les Alliés) à Willy Brandt (récipiendaire du Prix Nobel de la Paix pour sa politique de réconciliation avec les pays de l’Est).
La chancelière Merkel s’inscrit déjà dans cette galerie extrêmement prestigieuse, mais la tâche la plus difficile qui l’attend pour son dernier mandat est celle de porter l’Europe à un tel niveau d’influence mondiale que la préservation de l’ordre libéral ne soit jamais en danger pour les décennies à venir.
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