Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
La possible attaque chimique dressée récemment par le régime d’Assad offrait le prétexte idéal pour un retour de l’Occident dans la zone disputée.
Afin de comprendre la décision du trio États-Unis, France et Grande-Bretagne de mener des frappes militaires en Syrie il y a quelques jours, il faut se pencher sur la nature du conflit en Syrie et comment celle-ci est perçue par les États-Unis et leurs alliés et les autres intervenants dans la région (notamment la Russie).
Quand les mouvements révolutionnaires (le Printemps arabe) ont resurgi dans le Moyen-Orient en 2010, l’Occident les concevait comme une lutte pour faire triompher la démocratie dans les pays concernés, avec tous les éléments associés qui en découlent: élections libres, représentativité des différents groupes au sein du gouvernement, une vie plus prospère et une stabilité pour les peuples engagés sur cette voie. Si cette analyse s’est montrée appropriée pour interpréter le soulèvement populaire en Tunisie (malgré les difficultés post-décembre 2010) ou partiellement dans le cas de l’Égypte (où le chef de l’armée est devenu ultérieurement président pour tempérer l’élan des Frères musulmans), dans le cas de la Syrie, le diagnostic posé ne fut jamais confirmé.
L’opposition manifestée contre Bashar Al Assad était très éclectique, incapable de réunir les conditions nécessaires d’acceptabilité internationale pour réclamer sa substitution. La crédibilité des figures politiques qui exigeaient le pouvoir n’était pas à la hauteur et la complexité démographique du pays contribuait encore plus à brasser les cartes. Chose certaine, l’hésitation de l’Occident quant à la sorte d’Al Assad a évolué en dents de scie: « il faut que le président quitte le pouvoir » (Obama, 2011), « la ligne rouge qui ne doit pas être franchie » (toujours Obama), Hillary Clinton (en 2012) qui voulait « une refonte de l’opposition pour empêcher les extrémistes à détourner le conflit en leur faveur ».
La France, à son tour, était favorable en 2013 à une intervention militaire, idée abandonnée par le président Hollande, à cause d’une faible appétence des alliés pour agir ainsi. Finalement, les États-Unis ont conclu qu’il faut déchiffrer le conflit syrien comme étant un différend régional entre plusieurs factions extrémistes qui veulent s’emparer du pouvoir pour faire promouvoir leur propre programme et non pas les principes de démocratie et l’État de droit.
Sauf que ce type de neutralité apparente (« il ne faut pas intervenir tant que les intérêts américains ne sont en jeu » disait le président Obama) payante à court terme s’est tournée comme un boomerang contre l’Occident quelques ans plus tard quand la Russie est devenue le commanditaire de facto du régime Assad. La Syrie fut pour les Russes le Cheval de Troie pour rentrer au Moyen-Orient là où ils se faisaient évacuer dans les années ’70 par l’administration Nixon. Si nous rajoutons à cet état de fait l’influence grandissante de l’Iran dans la région (en Syrie, en Irak, en Liban, en Yémen), nous avons le tableau complet pour comprendre que les pertes en termes géopolitiques pour l’Occident sont devenues intenables.
La possible attaque chimique dressée récemment par le régime d’Assad offrait le prétexte idéal pour un retour de l’Occident dans la zone disputée. Deux objectifs majeurs étaient visés lors des frappes militaires: trouver pour le trio américano-franco-britannique une place à la table des négociations qui doivent être entamées bientôt et tester la volonté de la Russie quant à l’appui accordé au président Assad. Avec ses frappes, qui signalent aussi l’entrée sur la scène politique de John Bolton, le conseiller pour la sécurité nationale du président Trump, le trio mentionné peut forcer le départ du pouvoir d’Assad, dont la crédibilité est totalement compromise dans ce contexte.
Les missiles envoyées n’ont pas atteint le palais présidentiel, ce n’était pas le but de l’opération, mais le message est clair et net: si on veut l’éliminer du jeu, on est capable de le faire en utilisant la force et non pas la diplomatie. En même temps, la place influente de l’Iran se rétrécit et favorise la montée en force de l’Arabie saoudite, son grand rival, rentrée de nouveau dans les grâces américaines. La réaction viscérale du leadership religieux iranien après l’intervention atteste le changement induit par ces opérations militaires et la panique qui s’instaure à Téhéran.
Quant à la Russie, elle est en train de perdre des éléments psychologiques qui l’auraient favorisée dans une étape cruciale de son parcours combattante « anti-terroriste », celle qui prévoit la fin des hostilités avant que des accords internationaux entérinent les acquis sur le terrain. On s’accorde en théorie pour dire qu’en général la guerre éclate quand les conditions de paix sont plus humiliantes pour une nation qu’une éventuelle défaite sur les champs de bataille (voir par exemple le refus de Churchill de négocier la paix avec Hitler quand celui-ci menaçait la Grande-Bretagne, malgré les pressions des certains membres de son Comité de guerre).
Le non-combat des Russes sur le terrain syrien lors des frappes (le soutien à la contre-offensive syrienne est insignifiant) montre des signes de faiblesse. S’il valait la peine de se battre jusqu’au bout pour la cause, c’était le bon moment pour afficher un appui inébranlable au régime d’Assad. Pourtant, cette opportunité a été ratée. Le retrait tactique de la Russie qui mettait à l’abri ces soldats avant le déclenchement de l’opération militaire sous le leadership américain lui coûtera très cher lors des négociations qui suivront probablement bientôt. Son mot à dire ne pèsera plus comme auparavant. À titre d’exemple, les analyses nous montrent qu’en ’62, quand Khurshchev a accepté finalement le blocus naval imposé par l’administration Kennedy, les Américains ont compris que les menaces soviétiques furent crédibles jusqu’à un certain point à partir duquel le recul a été enregistré. La puissance commence à pâlir davantage et le règne de Khurshchev s’achève sans atteindre le triomphe tant espéré du communisme au niveau international.
Enfin, le Canada, qui appuyait les frappes, aura part des négociations moins difficiles pour la dernière ligne droite sur l’ALENA, si on se fie aux déclarations du vice-président Pence lorsqu’il a rencontré le premier ministre Justin Trudeau à Lima, au Pérou, tout de suite après l’envoi des missiles.
En somme, les frappes ont apporté des avantages abstraits en matière de domination géopolitique et géoreligieuse, qui seront exploités ultérieurement, lors des pourparlers très complexes qui s’amorcent en vue d’atteindre la paix.
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