Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
La crise qui s’enclenche ces jours-ci entre la Chine et l’Occident est la plus grave depuis les 70 dernières années, encore plus grave que les remous de Tian’anmen en ’89.
Si on a eu un symbole dans l’histoire de la diplomatie dont la mauvaise compréhension a suscité tant d’ennuis dans la relation entre la Chine et l’Occident, c’est bien le kowtow: un rituel d’antan pendant lequel les envoyés étrangers étaient censés s’agenouiller et poser la tête à terre pour porter ainsi un hommage à l’empereur chinois.
À la fin du XVIIIe siècle, Lord Macartney, l’envoyé spécial du Roi George III, le monarque britannique à l’époque a échoué complètement sa mission d’exploration en Chine sur le bien-fondé du libre-échange, à cause, entre autres, de son inadaptation aux exigences mentionnées. Pourtant, ni l’un ni l’autre n’étaient animés par des sentiments acrimonieux et le refus de l’Empereur d’accepter les propositions royales avait pour fondement l’interprétation du comportement de l’émissaire britannique.
Les récentes dissensions diplomatiques entre le Canada et la Chine causées par l’arrestation, sur le territoire canadien, d’une dirigeante de Huawei nous rappellent l’importance de l’intelligibilité des parties prenantes en relations internationales. Si du côté canadien, on défend la position du gouvernement comme étant arrimée avec le respect de l’État de droit, du côté chinois, on a qualifié l’arrestation de la dirigeante de Huawei comme «un acte de hooliganisme de la part des États-Unis».
On oppose deux aspects dans cette équation, l’un de nature juridique (Canada) et l’autre de l’ordre politique (la Chine).
Cependant, le déroulement des événements révèle une complexité particulière de cette saga, puisque des éléments liés à la diplomatie (la démission intempestive de l’ambassadeur McCallum), aux affaires internationales (l’utilisation de l’infrastructure G5 dont Huawei dispose) et même aux services secrets (l’espionnage, le non-respect de l’embargo imposé par les É.-U. en Iran, les craintes de la France à propos de la compagnie chinoise) s’entrecoupent au fur et à mesure que l’affaire se dévoile.
La crise qui s’enclenche ces jours-ci entre la Chine et l’Occident est la plus grave depuis les 70 dernières années, encore plus grave que les remous de Tian’anmen en ’89.
Tous ces facteurs contribuent, en fait, à la détérioration de l’ordre international établi après les années ’90 et ouvrent les perspectives pour qu’il soit défié à moyen et surtout à long terme. En fait, la question qui se pose est: que veut la Chine et comment doit-on la traiter au niveau international, y compris ici au Canada? La question est de taille, puisque le défi mentionné s’adresse plutôt à nos institutions et organisations qui sont en premières lignes, comme interfaces de nos relations internationales, les plus affectées en cas de désordre international. Or, on le sait, le test suprême pour ces institutions est de répondre adéquatement au stress provoqué par les menaces en provenance du système international.
Sont-elles devant un défi de taille après les récentes évolutions? La réponse réside dans la lecture à travers une grille dont les composantes sont amplement différentes des nôtres.
Dans le cas de Huawei, par exemple, le monde occidental s’attend, de la part chinoise, au respect du droit international. La Chine, comme toujours dans son histoire, ne veut pas que les autres se convertissent à sa propre échelle de valeurs, mais bien qu’elle soit reconnue comme acteur incontournable de la vie internationale. Elle s’attend à ce que l’Occident soit conscient de ses forces, de les respecter, mais surtout de ne pas la traiter comme une puissance parmi les autres.
La quintessence de la pensée politique qui l’anime pourrait être résumée ainsi: «La Chine incarne la puissance totale, sans égal et sans pair». Un exemple qui illustre bien ceci est le nom de son ministère dédié aux affaires internationales. Pendant l’époque classique en Chine, celui-ci s’appelait «l’Office pour la gestion de toutes les nations», signe qu’aucune prédisposition n’existait au pays pour des échanges diplomatiques. Les puissances étrangères peuvent partager des intérêts communs, peuvent traiter avec elle en matière de commerce international, mais tout en se prosternant devant sa supériorité culturelle qui vient de son existence millénaire.
Avec la Chine, c’est la hiérarchie du pouvoir qui structure le niveau des relations internationales et non pas les principes qui ont leurs racines dans l’idéalisme. Les pourparlers ont un sens avec la Chine seulement si l’interlocuteur accepte d’insérer dans ses propres idées une partie de son bagage anthropologique. Le contraire, l’imposition aux Chinois de son propre système de valeurs est perçue comme une agression, comme une tentative arrogante de déstabiliser ses croyances millénaires.
La quintessence de l’époque moderne diffère relativement peu de l’ordre ancien. La Chine a intégré certains principes de nature technocratique, mais la supériorité «de gérer, grâce à l’ordre reçu du Paradis, l’univers entier» (l’Empereur chinois, 1863) se transforme dans un combat pour que le peuple chinois «se lève debout!» (Mao Zedong, 1949). Sur de nouveaux percepts, réunis sous la coupole «de la Grande Harmonie» Mao a le courage de chambouler tout le système international, peu importe les deux camps, soviétique et américain, qui exercent sa domination.
Sa «révolution» finit par menacer l’URSS, qui est prête à l’envahir en 1969, et en même temps, les États-Unis, à qui l’on revendique, sans arrêt, la réintégration de Taiwan dans le continent asiatique. Les coûts en pertes de vies humaines associés à cette entreprise révolutionnaire n’ont aucune importance, même si un conflit nucléaire faisait des centaines de millions de victimes de son côté. La force psychologique de ces propos tenus à Moscou en 1957, dissimulait à peine, la supériorité assumée de la civilisation chinoise, disposée à un tel sacrifice pour l’amour de son propre sinocentrisme.
La virulence avec laquelle le régime chinois répond aux accusations déposées à l’encontre de la dirigeante de Huawei dénote une irritation plus profonde par rapport aux standards auxquels on était habitués.
La cinquième génération de leaders chinois au pouvoir, après la fin de la révolution de Mao, montre un appétit inégalé dans toute leur histoire pour façonner l’ordre international à leur guise comme la «Nouvelle Route de la soie», avec des investissements de l’ordre de 1000 milliards de dollars. Le projet n’a pas juste un volet économique, il se veut un instrument pour rallier des pays aux normes chinoises prévues en cas de différends commerciaux.
Les actions dans la mer de Chine du Sud sont également une projection de la force dont elle dispose. Ceux qui ne respectent pas le modus operandi sont soumis à des représailles économiques. Prenez le cas d’un des plus célèbres constructeurs allemands d’autos: une citation de Dalaï-Lama insérée sur leur site internet leur a coûté des excuses officielles adressées au gouvernement chinois. Un autre exemple: les importations des Philippines, un pays qui conteste certaines actions chinoises dans l’Asie, pour des produits comme les bananes, ont été suspendues, «pour des raisons de santé».
Il est évident alors que la diplomatie canadienne aura à subir une pression inouïe après l’épisode Huawei, tout comme certaines de nos institutions démocratiques. Le danger est que ces types de confrontations, apparemment commerciales, mais avec une forte connotation politique, dégénèrent à un point où le réparable n’est plus à portée de la main.
Dans un laps de temps insignifiant à l’échelle historique, le Canada a eu des accrochages diplomatiques, c’est le moins qu’on puisse dire, avec des acteurs majeurs comme la Chine et la Russie ou encore des acteurs moyens comme l’Arabie saoudite.
Quel est le prix que le Canada est disposé à payer?
*Articolul a fost publicat initial aici.