Auteur: Rareș Burlacu
Peut-être que jamais dans le cours de l’histoire, la vision kantienne du monde (exprimée à la fin de XVIIIe siècle) selon laquelle la paix perpétuelle sera achevée par l’humanité, soit à la suite d’une guerre, soit après une grande catastrophe, n’a trouvé un sens si profond que dans la pandémie actuelle.
À présent, plus de 150 pays sont touchés par la propagation du virus. L’Asie, l’Europe dans son ensemble et l’Amérique du Nord sont les zones les plus affectées, ce qui justifie le mot « planétaire » dans la description de la crise sanitaire qu’on vit.
On aurait pu s’attendre que la réponse donnée par les gouvernements transcende les préoccupations nationales pour trouver une solution collective internationale par l’entremise d’une coopération accrue et accélérée.
Force est de constater que les décisions prises par les autorités des pays qui ont fondé l’ordre international tel qu’on le connaît après la Seconde Guerre mondiale, relèvent du propre registre interne et démontrent même une certaine méfiance à l’égard des autres acteurs étatiques.
Sans doute, nous assistons, pour la première fois depuis un siècle – lorsqu’en 1917 le président des États-Unis, Woodrow Wilson, demandait l’aval au Congrès pour déclarer la guerre à l’Allemagne – à l’abandon du leadership américain sur les affaires internationales dans les moments de grandes crises.
L’actuelle administration, annonce, suivant la ligne d’action déjà amorcée depuis quelques années, que « pour la propre survie, il ne faut jamais se baser sur les moyens offerts par un pays étranger…les Républicains et les Démocrates, doivent s’assurer que les États-Unis sont, pour de vrai, un pays indépendant dans tous les sens ».
Nous sommes à l’antipode de l’idéalisme promu par Wilson, dont la quête pour la paix universelle à l’époque mentionnée fut l’expression de son but politique ultime : « nous ne voulons pas des avantages pour nous, ni des compensations matérielles pour les sacrifices qu’on fera librement, de notre choix ».
Quelques années plus tard, Franklin Delano Roosevelt, le président du « New Deal » après la Grande Crise de ’29, construisait le socle pour le fondement des relations internationales à partir de la confiance et de la légitimité, de l’humanitarisme et de bouna fede entre les décideurs politiques : « on arrive à la paix sans suspicion et sans crainte ».
En plein déroulement de la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt jette les bases pour la création du système Bretton Woods (négocié, non sans controverses) pour gérer le monde financier après la fin des hostilités. En fait, jusqu’à cette crise, la création du FMI et de la Banque Mondiale en 1945, représente une référence pour tracer les origines du système économique et financier actuel.
Si on regarde la tendance actuelle, il faut remonter jusqu’à 1823 pour trouver un concept qui nous avertit de la tournure isolationniste, qui s’installe insidieusement depuis la gouverne du président Obama, soit celui de la doctrine Monroe : être à l’abri des affaires du monde dans la totalité de l’Hémisphère Ouest.
L’ironie du hasard nous montre que pour cela, les États-Unis avaient besoin du soutien britannique (la première puissance navale) tout comme aujourd’hui, dans le sillage du Brexit.
D’une manière très affirmée, les hauts officiels diplomatiques américains nous indiquent la raison pour laquelle ils agissent ainsi, quand ils blâment la Chine pour cette crise sanitaire (« le syndrome de Wuhan »).
Depuis quelques années, un consensus se forme dans l’establishment américain autour de l’idée que la Chine représente une menace à l’ordre mondial actuel, fait exprimé également par des sondages qui rapportent que 60 % des Américains ont une mauvaise opinion sur « l’Empire du Milieu ». D’après Mike Pompeo, le Secrétaire d’État américain, la Chine cherche, néanmoins, « la domination mondiale ».
La riposte de la Chine rappelle les méandres de la propagande classique. Ainsi, l’adjoint du ministre des Affaires étrangères déclare que le virus a été apporté à Wuhan par des militaires américains qui participaient à un évènement dans la ville en novembre dernier.
Sans fondements pour soutenir ces affirmations et en créant des diversions pour que la vérité soit impossible à (r)établir, la Chine entame des opérations d’aide humanitaire en Europe. L’Italie, membre fondateur de l’Union européenne (UE), et la Serbie, pays non-membre de l’UE, en sont les bénéficiaires.
Sauf que la Chine n’a pas une vocation internationale, acquise dans le temps et validée par la communauté internationale. Certes, elle a les moyens économiques et elle s’en sert pour élargir sa base commerciale et d’investissements, mais ses assises politiques pour qu’elle projette une politique étrangère conceptuelle sont faibles : régime autoritaire, restrictions de liberté, non-respect du droit de l’homme, inexpérience au-delà des limites régionales.
Le système international tel qu’on le connaît depuis la moitié du XXe siècle, se prive d’un hégémon (États-Unis) qui laisse ainsi le vide occupé l’espace dans lequel il agissait (les affaires mondiales). Préserver la paix signifie que ceux qui tentent de remplir ce vide à nouveau (les puissances militaires surtout) créent une nouvelle situation d’équilibre (la force des uns doit compenser celle des autres).
C’est justement la balance du pouvoir qui nous indique, comme toujours, si la rigidité qui lui était propre (soit son acceptation jusqu’à un certain degré) puisse être remplacée par la flexibilité (le niveau d’acceptation de la pression exercée par le pouvoir devient insupportable, on veut autre chose) qui brise l’ordre établi.
C’est à ce moment-là que l’humanité se trouvera de nouveau dans une situation qui frôle les énoncés de l’illustre philosophe illuministe.