Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
La victoire des libéraux du premier ministre néerlandais sortant Mark Rutt lors des élections législatives déroulées récemment aux Pays-Bas a un impact majeur sur l’évolution ultérieure des relations internationales. Deux enjeux politiques ressurgissent à la lumière du résultat de ce scrutin. Le premier se situe au plan conceptuel, où nous trouvons un symbole marquant: la préservation du libéralisme comme valeur structurante autour de laquelle les politiques publiques se définissent. Ce concept politique si contesté récemment trouvait déjà aux Pays-Bas un terrain fertile de manifestation avant même qu’il soit devenu l’objet d’étude philosophique. Une société européenne ouverte et modérée dans son sens le plus large, tolérante, humaniste et internationaliste s’est fondée au fil des siècles dans ce coin du monde célèbre aussi pour ses tulipes.
Erasmus de Rotterdam, connu comme le «Prince de l’humanisme» entre les 15e et 16e siècles pour ses ouvrages rédigés en latin en en grec sur le Nouveau Testament, constitue l’un des défenseurs les plus illustratifs de la pléiade des valeurs évoquées précédemment. Benedict Spinoza nous a légué, cent ans après, la rationalité, comme première source de connaissance de la vérité, qui n’est plus intuitive, mais bien intellectuelle et déductible. Il ne faut pas oublier non plus qu’Amsterdam a été pendant 140 ans le centre de l’économie mondiale grâce à sa flotte maritime qui régnait sur les mers du monde. Au début du XXe siècle, la ville était la plus internationale de toutes les grandes villes de l’Europe, devant Paris.
L’autre enjeu primordial des élections était relié au statut des Pays-Bas dans le cadre européen. Geert Wilders, le leader des populistes aurait entamé des procédures pour sortir le pays de l’UE s’il avait gagné les élections. Une telle option aurait eu un choc sur l’ensemble de l’Union d’autant plus que le pays était membre fondateur.
Les circonstances étaient donc très difficiles à un moment où l’Europe cherche se redéfinir à la veille du 60e anniversaire du Traité constitutif, celui de Rome, qui sera célébré le 25 mars prochain.
Mais le danger du populisme n’est pas passé puisque l’existence même de l’actuelle configuration intergouvernementale en Europe sera soumise à de rudes épreuves avec les élections en France (mai) et en Allemagne (septembre). D’ici là, on peut s’attendre à de fréquentes attaques pour déstabiliser l’ordre libéral. La stratégie pour y parvenir portera cette fois-ci sur des aspects pratiques.
Premièrement, le protectionnisme commercial constituera le fil conducteur de tous ces mouvements de contestation de l’établissement, combiné avec des lamentations identitaires, qui sont basées sur des idées reçues telles que: les immigrés syriens qui envahissent le continent européen menacent les emplois et font augmenter le taux de chômage, les demandes de la communauté LGBT sont excessives, les moins nantis s’emparent des droits pour profiter du filet social et j’en passe.
Deuxièmement, les critiques les plus virulentes se dirigeront vers le marché commun de l’UE, qui assure la prospérité des pays qui y font partie et envers l’OTAN, qui est le garant de la sécurité de la zone transatlantique. Ces deux institutions se trouvent sous une forte pression exercée des deux côtés de l’Atlantique et on peut s’attendre à des gestes radicaux pour les déboussoler prochainement.
Finalement, le jumelage des eurosceptiques avec les populistes euroatlantiques prendra sans doute dans leur mire l’ONU et surtout l’OMC, la clef de voûte du libéralisme internationaliste.
Quelle est alors la solution pour contrer la recrudescence populiste qui hante le monde occidental? Comment réagir à ce moment charnière de notre histoire récente?
Une véritable bataille sur le plan des idées devrait avoir lieu pour contrer ce véritable fléau. À l’ignorance, il faut répondre avec éducation, à la xénophobie avec culture, à l’isolationnisme avec internationalisme. Il est indispensable de contenir la montée du populisme avec une large coalition démocratique, construite autour du concept de modération. Le clivage classique entre la gauche et la droite devrait être remplacé par un front commun qui rallie des courants divers à la première vue, comme le socialisme, la social-démocratie, le libéralisme nord-américain et européen, la démocratie chrétienne et qui trouve une plateforme commune au centre politique. L’élaboration de politiques publiques basées sur des données probantes, le dialogue avec les syndicats pour la mise en place de fonds de cohésion sociale, avec les ONG, les écologistes et avec la société civile dans son ensemble pourront servir de base pour amorcer ce vaste chantier de reconstruction de la vie publique. Le renforcement des organisations internationales, la mutualisation des intérêts économiques, le partage des ressources, le respect des normes juridiques sont des éléments qui constituent la quintessence même d’un partenariat transnational pour la défense des démocraties libérales.
L’un des pays qui se trouvent en pleine santé démocratique, l’Allemagne, expérimente de nos jours une telle approche transposée au niveau politique. La «Grande Coalition» entre le Parti social-démocrate et l’Union chrétienne-démocrate, a donné des résultats surprenants, avec l’appui accordé par la chancelière Angela Merkel à son ministre des Affaires étrangères, le social-démocrate Steinmeier – donc son rival politique- au poste de président de la République!
Quant à nous, le Canada est très bien positionné pour être un chef de file dans ce véritable combat. Paradoxalement, ce contexte inusité lui offre une perspective enviable, celle d’un jouer dont les positions publiques trouvent plus que jamais un auditoire acquis à l’avance, qui le perçoit dorénavant en fort contraste avec son voisin du Sud. La projection internationale de sa modération est une preuve indéniable que la politique n’est pas juste un apanage pour les élites, mais un levier de développement pour les communautés de demain. Si nous rajoutons à ces arguments les fonds dégagés récemment pour le financement des missions de paix, en accord avec les objectifs de la coalition ad hoc, alors Canada devient de facto, un des leaders informels du monde libéral.
En fonction de l’évolution ultérieure de l’échiquier politique international, cette véritable mission pour la protection de la démocratie libérale dans son ensemble trouvera son incarnation politique dans la fondation d’un nouveau système international, une confédération des États indépendants, imaginée déjà par des précurseurs comme l’abbé de Saint-Pierre (1713). Le penseur, qui n’a jamais exercé d’ailleurs sa fonction sacerdotale, concevait ce regroupement comme un moyen pour préserver une paix perpétuelle. Le moment est alors venu d’imaginer néanmoins l’instauration d’une gouverne mondiale portant sur les conditions institutionnelles, juridiques et politiques d’une démocratie libérale étendue universellement. L’effet de dissuasion sur toute tentative d’emprise populiste sur les démocraties libérales sera ainsi le garant d’un ordre qui privilégie la paix.
*Articolul a fost publicat initial aici.