Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
Pour déchiffrer les frappes aériennes effectuées par l’administration américaine en Syrie, la grille d’analyse la plus appropriée est celle inspirée par l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger. Il nous invite à revoir ces trois éléments soit le diagnostic de la crise qui secoue le système international, les objectifs pour atteindre le but établi et les moyens employés afin de parvenir à des résultats souhaitables.
Le diagnostic posé par l’administration américaine dans ces circonstances se base, d’après les déclarations officielles, sur les images reprises par les médias internationaux à la suite de l’attaque chimique sur la ville de Kahn. Aussi ignobles et difficiles à regarder qu’elles soient, ces images ne peuvent, par elles seules, constituer le fondement d’une intervention militaire. En plus, le contrôle de l’arsenal chimique du régime était déjà sous l’emprise de la communauté internationale depuis 2013 quand l’administration Obama a accepté sa destruction sécuritaire sous l’autorité de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.
Le fait que nous ne disposons pas de preuves sur la propriété des armes chimiques et sur qui en fait l’usage (le pouvoir ou l’opposition syrienne) sème des doutes sur le fondement de l’attaque. Ces doutes se creusent encore quand nous constatons que le Congrès des États-Unis n’a donné encore aucune autorisation que ce soit pour une intervention militaire. Selon la coutume, le président doit maintenant compléter un dossier assez solide, War Powers Resolution, afin qu’il justifie ses actions. Du point de vue de la législation internationale, la décision de frappe n’est pas non plus solide : le droit d’intervention humanitaire, pour protéger les populations civiles sous attaques, n’est pas reconnu ni par le gouvernement américain ni par la Charte des Nations Unies, en l’absence d’une résolution du Conseil de sécurité. Les seuls pays qui reconnaissent une intervention sous les auspices du droit international pour une cause humanitaire sont la Grande-Bretagne et le Danemark!
Les objectifs des frappes aériennes ne sont pas non plus bien définis en ce qui concerne la diminution de la capacité du régime syrien à utiliser son arsenal chimique.
Les objectifs des frappes aériennes ne sont pas non plus bien définis en ce qui concerne la diminution de la capacité du régime syrien à utiliser son arsenal chimique. Si la cible des missiles était de neutraliser les avions adverses, porteurs de charges chimiques, elle serait ratée, au moins en partie. Selon les informations véhiculées par les médias, une infime partie du matériel militaire de la base d’Al-Chaayrate a été endommagé. Seule la piste de décollage a été plus affectée. D’ailleurs, des avions russes ou syriens décollent encore depuis cet endroit pour mener des raids avec du matériel conventionnel contre l’ISIS dans la région de Homs. En pratique, il n’y a aucune garantie que lors d’une prochaine attaque les armes chimiques ne seront plus utilisées. Théoriquement, oui, la crainte que d’autres frappes américaines puissent suivre induit une réaction plus modérée des Syriens.
Nous pouvons supposer alors que la frappe américaine vise d’autres objectifs de nature symbolique, comme le rétablissement du rapport de force entre les différents groupes sectaires syriens. Les sunnites, appuyés par les pays du Golfe et par l’Arabie saoudite vont redoubler d’efforts pour s’emparer de ce qu’il reste de l’État syrien. Les shiites, dont le soutien informel pour le président syrien arrive de l’Iran par l’Hezbollah, voient leur influence dans la région diminuée d’un cran, y compris sur le territoire de l’Irak, victime collatérale de la décision américaine. Un apport pour un éventuel processus de paix dans la zone aurait pu venir de la part des nombreuses factions qui se disputent sur son territoire. Les shiites, par l’intermédiaire de Téhéran, étaient les artisans d’une certaine stabilité politique, durement mise à l’épreuve par ces frappes.
Probablement que l’objectif ultime était celui d’offrir au secrétaire d’État Tillerson une allonge pour la rencontre avec son homologue russe, Lavrov, qui aura dans quelques jours. Très critiqué dans son pays pour l’inaction dans ses nouvelles fonctions, le chef de la diplomatie américaine peut adopter une position offensive et amorcer des négociations redoutables avec ses contreparties russes. Il pourrait signaler de cette façon l’intérêt de son gouvernement à jouer un rôle dans la nouvelle configuration qui se dessine dans le Moyen-Orient lors des pourparlers de paix de Genève 2. Sous aucune forme, Al-Assad ne peut rester le pivot autour duquel le nouveau pouvoir syrien se structure, voilà le message qui sera porté par Tillerson après les frappes menées par son gouvernement.
Quant aux moyens employés par l’administration, le dernier budget est très révélateur en ce sens: les fonds du département d’État ont été coupés de 29% tandis que les ressources de la Défense ont augmenté de 54 milliards de dollars, hausse qualifiée comme «historique» par le président Trump.
Les qualités requises pour un homme d’État résident dans sa capacité à anticiper des développements ultérieurs dont la vérification est impossible au moment de l’action. Les risques de toute intervention qui se fait au détriment de la pensée stratégique sont incalculables et majeurs à long terme.
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