Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
L’un des adages légués à la philosophie politique par l’éminent historien grec Thucydide nous enseigne que le présent, malgré son incapacité à reproduire exactement le passé, doit lui ressembler, tout comme le futur !
L’aphorisme est très approprié pour saisir la dynamique de la scène internationale après la réélection du président iranien Rohani lors du scrutin déroulé il y a quelques jours.
Trois phases distinctes caractérisent l’évolution de l’Iran depuis la création de sa nation comme fondement de l’Empire persan, qui depuis le 7e siècle (AEC) et jusqu’au 7e siècle (EC), sous différentes formes, assurait la gouvernance des grands territoires orientaux et asiatiques. Ancré dans une stature étatique dans laquelle sa forte capacité militaire était jumelée avec une administration publique organisée grâce à une formation élitiste de ses fonctionnaires, l’Empire persan poursuivait également de vastes intérêts économiques dans des régions qui aujourd’hui se trouvent au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie centrale. Pendant des siècles, les souverains de la monarchie étaient considérés comme « les Rois de tous les Rois ». Ce renom vient d’une prédilection pour l’échange de principes de tolérance contre des assurances de paix durable de la part des peuples soumis au pouvoir persan. Même dans les moments les plus difficiles de son parcours, quand l’Empire était secoué par des crises géopolitiques – à cause de l’axe géographique l’Est-Ouest du monde qui le traversait en permanence – il a réussi à préserver son existence moyennant l’excellence de ses diplomates.
Vers le 6e siècle (EC), l’influence de la culture arabe fut déterminante dans l’établissement des règles de droit islamique qui s’insèrent dans la gestion des affaires de l’État. Pour se distinguer de son grand rival, l’Empire ottoman, dont la majorité de la population était sunnite, la Perse adopte la confession Shiite, une rame du courant sunnite qui accorde à la vérité religieuse une importance mystique et ineffable à la fois.
Cette quête de la vérité spirituelle tourne vers la radicalisation théocratique après la révolution islamique de 1971, quand le grand ayatollah Khomeini s’empare du pouvoir en Iran (le nom du pays utilisé depuis 1935). Reçu avec un enthousiasme peu justifié après le départ du Shah Reza Pahlavi, l’ayatollah Khomeini s’approprie les rênes de l’État iranien pour mener une confrontation d’ordre religieux avec le reste du monde. Désormais, le but de sa démarche est le renversement des gouvernements arabes et l’instauration par la suite d’un pouvoir religieux qui se légitime par l’adoption du Coran comme Loi divine (nous sommes entrés dans la deuxième phase d’évolution mentionnée au début du texte).
D’un coup, le monde occidental se trouvait face à un régime dont les ambitions internationales déclarées étaient semblables à celles des princes européens du 17e siècle, plus précisément avant les Traités de Westphalie de 1648.
Ce binôme religion-état représente la quintessence même de la doctrine idéologique qui envahit tout le tissu social de la société iranienne. L’État, dans ces conditions, n’est pas une entité en soi, il sert justement à la mise en place des règles du Prophète Mohammed. Des leaders spirituels comme Khamenei, qui a succédé à Khomeini depuis ’89, se situent au-delà d’un niveau de partisanerie politique à laquelle nous sommes habitués dans l’Ouest. Leur autorité de « leader suprême de la Révolution islamique », s’étend tant sur les affaires intérieures et extérieures que sur l’armée et la vie économique du pays (on ne connaît pas la portée du patrimoine du leader -le système fiscal est inopérant encore dans le pays, mais des milliards de dollars semblent circuler sans entrave dans les couloirs du pouvoir).
Quand l’Iran a tenté se doter de l’arme nucléaire pour défendre ses idéaux à forte connotation religieuse – la réunification des musulmans sous le même drapeau étant une obligation nationale- la communauté internationale s’est opposée farouchement.
La négociation pour résoudre ce différend a commencé en 2006. Le format est celui de P5+1 d’un côté (pratiquement les pays membres du Conseil de Sécurité de l’ONU + l’Allemagne, partenaire commercial clé du pays) et l’Iran de l’autre côté. Au milieu de la négociation, en 2013, la charge nucléaire dont l’Iran disposait (basée sur la quantité de l’uranium enrichi, nécessaire pour la production de la bombe) combinée avec les centrifuges pour l’opérationnalisation de l’armement, dépassait entre 7 et 10 fois la taille de la bombe utilisée à Hiroshima!
Cependant, l’Iran trouve des ressources politiques internes pour signer l’entente avec le P5+1 en misant sur la modération du président Rohani, un professeur, diplomate et théologien formé en droit à l’Université de Glasgow, en Écosse. Habile à endiguer les courants les plus conservateurs de ses rivaux au plan interne, fin négociateur et interlocuteur astuce pour les membres P5+1, le compromis cherché avec volonté et patience lui sert d’assise pour remporter un deuxième mandat de suite. Son principal support électoral vient de la population la plus jeune, qui représente l’armature politique nécessaire à propulser le pays sur l’orbite de la mondialisation (troisième phase d’évolution, telle que proposée dans l’introduction de la réflexion). Très scolarisée, y compris dans les zones plus rurales, la jeunesse du pays jouit d’un ratio de connexion à l’Internet qui frôle 50 % du total de la population qui ait accès au réseau! 85 % des jeunes disposent d’un téléphone portable. Le grand ayatollah Khamenei utilise assez souvent Twitter pour s’exprimer (dans un pays où ce réseau est officiellement interdit!). Tout comme en Occident, les Iraniens se marient de plus en plus tard ou ils peuvent choisir le célibat. Les femmes de 30 ans et plus qui appartiennent à cette catégorie sociale peuvent désormais adopter des enfants.
Des réussites à portée régionale sont enregistrées également dans l’administration. Une influence grandissante de l’Iran se constate dans la région du Moyen-Orient. Son prestige est reconnu en Syrie, où le pari sur Bachar al-Assad tient encore grâce aussi aux efforts déployés par l’allié russe. Au sud de Liban, l’Hezbollah, qui contrôle le territoire, est un ami irréductible qui contribue à consolider l’autorité morale de l’Iran. Le ton acrimonieux que l’Ayatolah Khamenei se permet d’utiliser ces jours-ci envers l’Arabie saoudite, son grand rival (qui figure au premier rang des économies de la région avant l’Iran), doit s’expliquer par le fait que les Iraniens adoptent une position d’égal à l’égal avec les Saoudiens. L’administration américaine a saisi rapidement cet aspect et le séjour du président Trump à Ryad dévoile une tentative de recalibrage de la balance du pouvoir, trop penchée récemment du côté iranien.
Le grand paradoxe de l’Iran réside dans sa capacité à se moderniser quand il est soumis aux menaces externes les plus complexes.
Le défi de l’Ouest dans sa relation avec l’Iran consiste dans sa ténacité à capitaliser politiquement les progrès qui s’entrevoient. Une forte disponibilité à augmenter l’investissement direct étranger dans le pays – trop dépendant du pétrole et de ses exportations, situation qui provoque, on le sait, la « malédiction néerlandaise » – contribuera à donner aux jeunes des motivations supplémentaires pour accélérer les réformes de modernisation nécessaires à Téhéran. Des échanges universitaires sont souhaitables, doublés par l’instauration des programmes d’interaction culturelle. La pression diplomatique de l’Ouest devrait s’exercer intensément pour préserver le choix assumé dans la direction réformiste. Le grand paradoxe de l’Iran réside dans sa capacité à se moderniser quand il est soumis aux menaces externes les plus complexes. Cette fois-ci, ce prologue relève plutôt de la métaphysique : harmoniser les préceptes islamistes avec l’avancement de la société. La creusée entre les deux perspectives de coopération avec l’Ouest, qui devient un catalyseur et un instrument de persuasion à la foi, est envisageable à court terme. L’exemple de la Turquie post-kémaliste est reluisant puisque dans ce cas, la modernisation finit par s’imposer face à l’intégrisme (situation qui a perduré jusqu’à récemment, il faut l’avouer).
Des informations en provenance de l’Iran nous laissent entendre que le grand ayatollah Khamenei a étudié en détail l’effondrement de l’Union soviétique, question notamment d’éviter la répétition des mêmes erreurs stratégiques qui ont mené à l’implosion du communisme dans les années ’90.
Pourtant, des recherches sur le sujet indiquent que déjà en 1956, lors du fameux congrès du Parti communiste quand Nikita Khrushcev a dénoncé les crimes staliniens, les Américains ont compris que la fin du régime totalitaire s’approche.
Est-ce que l’intégrisme islamique iranien s’effondrera bientôt à la suite de la réélection de Rohani, qui pourrait donner, comme Khrushcev à l’époque, le signal d’un régime qui change? La réponse se trouve dans les mains de l’Occident.
*Articolul a fost publicat initial aici.