Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
La capacité à trouver un compromis pour donner à chacun une partie qu’il souhaite sans que les autres soient pénalisés représente la synthèse d’une pensée internationale adaptée à des besoins retentissants.
La récente disparition du président américain George Bush soulève une question qui mérite d’être explorée avec attention: quelle aurait était le sort du monde en ’89, à l’aube des révolutions qui ont secoué l’Europe de l’Est, sans son expérience et savoir-faire en relations internationales?
Une question encore plus spécifique s’impose: est-ce que le démantèlement ultérieur de l’Union soviétique fut aussi une conséquence directe de son leadership sur le dossier?
La confrontation avec la réalité sur le terrain m’oblige à un exercice difficile puisque j’étais, à ce moment-là, dans la rue, tout comme des centaines de milliers de personnes, à manifester contre le régime communiste dans mon pays d’origine, la Roumanie. Au milieu des discours enflammés, tenus par des révolutionnaires, les rafales des mitrailleuses commençaient à se faire entendre, et plusieurs hommes et femmes dans la foule tombaient à terre sans souffle. Ce fut, sans doute, le moment le plus difficile que j’ai jamais vécu.
Malgré la violence avec laquelle le régime a répondu aux questions légitimes exprimées par les manifestants, un espoir flottait dans l’air: la fin de l’emprise communiste commencée dans les années ’46. La rumeur qui circulait était que Bush et Gorbatchev auraient convenu à Malte de laisser les pays de l’est de l’Europe se libérer de leur joug.
Ces rumeurs, en fait, se sont montrées vraies! L’URSS a décidé de se débarrasser du dernier dictateur dans le coin. Quelques jours après ces événements tragiques, le secrétaire d’État américain, James Baker (ami personnel du président Bush), arrive dans la région pour annoncer que désormais, les pays de l’Est pouvaient reprendre le chemin démocratique.
Comment «ce miracle» s’est-il produit?
Quelle était la recette victorieuse de Bush, l’homme qui était sur les lèvres des dizaines de millions de gens emportés par «le vent du changement»?
D’abord, il faut avouer que le président Bush a cueilli les fruits mûris tout au long d’un processus stratégique entamé par le gouvernement américain immédiatement après l’installation du Rideau de fer sur l’Europe dans les années ’50.
Conscients qu’une éventuelle chute de toute l’Europe sous les griffes de l’ours soviétique aurait pu donner lieu à une confrontation directe dont le résultat aurait été imprévisible, les Américains se sont donné les moyens pour contrecarrer l’expansion de l’URSS: le traité de l’OTAN signé par Harry Truman, Eisenhower avec la création de l’Administration de l’Espace et de l’Aéronautique, Kennedy qui n’a jamais arrêté de défendre le Berlin de l’Ouest même lors de la Crise des missiles de Cuba, Richard Nixon qui a manœuvré pour détruire l’alliance idéologique entre la Chine et l’Union soviétique, Jimmy Carter qui a renoncé à la détente proposée antérieurement, le président Reagan qui a su comment transformer sa rigidité dans un instrument efficace comme la Guerre des étoiles.
L’expérience acquise auprès de l’ancien acteur hollywoodien, devenu président et dont il était le vice-président, combinée avec ses habiletés de gestionnaire public à la tête de la CIA, a permis à Bush de poser un diagnostic exact de l’état dans lequel le monde sombrait quand il a été porté au pouvoir en ’88.
Son bagage diplomatique accumulé lorsqu’il était chargé d’affaires des États-Unis en Chine (avant même que l’ambassade officielle soit ouverte) l’a aidé à négocier superbement avec son homologue soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev.
Selon l’ancien ambassadeur américain Jack Matlock, les résultats auxquels les deux leaders sont parvenus à Malte étaient les plus importants de tous les sommets américano-soviétiques déroulés auparavant.
Fin connaisseur des rouages du système international, Bush a laissé entendre que les pays de l’Europe de l’Est vont suivre désormais le sillage occidental, sans que ce changement de cap nuise aux intérêts soviétiques.
Il a su gérer l’implosion de l’URSS avec une sagesse et une compétence plutôt rares. Venus au pouvoir sur une vague qui a provoqué des crimes odieux en 1917, les révolutionnaires communistes ont rendu armes et idéologie sans que cela se traduise par une guerre civile ou une confrontation militaire.
Quand le monde entier fêtait la chute du mur de Berlin, Bush a refusé de se joindre aux festoyeurs pour ne pas offenser les Soviétiques, un geste rempli de significations profondes. Par la suite, il a été un astucieux arbitre dans le processus de réunification de l’Allemagne, idée redoutée autant par les Français que les Anglais.
La capacité à trouver un compromis pour donner à chacun une partie qu’il souhaite sans que les autres soient pénalisés représente, sans doute, la synthèse d’une pensée internationale adaptée aux besoins les plus retentissants.
Une preuve solide à cet égard est l’entente survenue avec l’Union soviétique qui, en échange de l’abandon de ses positions offensives en Europe, s’est vue compensée par des injections financières massives dans le budget prévu pour le rapatriement et la désaffection de ses soldats rentrés dans les casernes.
Avec le nouvel ordre international ainsi créé, nous pouvons affirmer que George Bush a mis fin à la Seconde Guerre mondiale, terminée en ’45, mais de facto seulement en ’89!
Coïncidence étrange, depuis la fin de son mandat en ’92, le support politique des États-Unis à travers le monde ne cesse de s’effriter alors que durant la Guerre du Golfe en ’91, le pays avait pourtant réussi à réunir la plus grande coalition armée après celle de la Guerre en Corée en ’50!
Les présidents qui ont succédé à George Bush n’ont pas eu, a priori, ni la capacité de compréhension des enjeux du monde international ni la perspicacité nécessaire pour éviter les pièges du fort déséquilibre de la balance du pouvoir.
Dans ce contexte, la réflexion portée dans les années ’50 par le professeur Carl Friedrich, de Harvard, demeure d’actualité: «S’il y a un domaine de l’activité gouvernementale où le jugement doit être aiguisé, c’est bien celui de la politique étrangère!»
*Articolul a fost publicat initial aici.