Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
Ces jours-ci marquent le 30e anniversaire du déclenchement des révolutions qui ont secoué le monde avec la chute du mur de Berlin et l’exécution par un peloton militaire de Nicolae Ceausescu, le dernier des dictateurs sanguinaires du XXe siècle.
Comment ces événements politiques ont-ils transformé le monde ? Est-ce que 30 ans, c’est assez pour les assimiler ?
Il est sûr et certain que la mutation à laquelle nous avons assisté en 1989, année charnière dans les relations internationales, a eu des conséquences plurivalentes : pour les pays occidentaux, la menace d’une guerre (conventionnelle ou nucléaire) avec l’URSS était éloignée, du moins pour le moment, et pour les pays de l’Est, l’effondrement du mastodonte soviétique signifiait la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
En fait, c’est seulement à ce moment que l’occupant qui s’est imposé après le 9 mai 1945 a libéré les territoires et est rentré (au moins partiellement) dans ses frontières naturelles. L’un des diplomates soviétiques les plus réputés, Anatoli Dobrynine, estimait dans ses mémoires que l’URSS s’est alors retranchée à l’intérieur des frontières occupées en 1653.
Deux phénomènes qui s’entremêlent et qui se sont développés simultanément ont contribué aux révoltes populaires dans l’Europe de l’Est : la crise de supra-production qui sévissait dans l’Europe occidentale et la crise qui a secoué l’Union soviétique dans les années 1980.
Les indicateurs économiques montraient des signes majeurs de déséquilibre économique, une offre qui dépassait la demande après 30 ans de croissance soutenue, il n’y avait pas de débouchés pour les produits de large consommation sur le marché commun européen. La pression que les grands groupes industriels exerçaient sur leurs propres gouvernements pour qu’ils trouvent des solutions à cet aspect s’avère déterminante pour que des changements d’ordre politique s’opèrent dans l’Europe de l’Est.
La région est encore soumise à une circulation des biens en circuit fermé : seuls les pays qui partagent la même idéologie communiste, réunis au sein du Conseil d’aide économique mutuelle (CAEM), peuvent échanger entre eux. Le CAEM fut ainsi un levier de dépendance de tous les pays de l’Europe de l’Est envers l’Union soviétique. Or, dès la dissolution du CAEM, l’Europe orientale commence à être vue comme un espace convoité pour écouler la production occidentale.
Jusqu’à un certain degré, cette vision tenait la route, puisque l’URSS traversait l’un des moments les plus vulnérables de son existence. Enfoncée dans une crise profonde à la suite de « la guerre des étoiles » orchestrée en 1983 par le président Ronald Reagan sous le nom d’Initiative de défense stratégique, l’Union soviétique peine à soutenir les dépenses engagées dans la course aux armements. Déjà fragilisée par l’intervention en Afghanistan, en 1979, l’économie socialiste soviétique a besoin de réformes s’inspirant de l’économie de marché.
C’est à ce moment que l’ancien ministre de l’Agriculture Mikhaïl Gorbatchev, devenu secrétaire général du Parti communiste en 1985, propose un plan courageux de reconstruction économique (perestroïka), associé à une transparence (glasnost) dans les actes administratifs. Les tensions déjà cumulées dans des pays comme la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Hongrie trouvent une fenêtre d’opportunité pour un changement pacifique de régime, tandis qu’en Roumanie, le leader de l’époque refuse tout appel à la réforme allant jusqu’à même demander l’intervention des pays du Pacte de Varsovie — l’alliance militaire des pays communistes — contre le mouvement Solidarność en Pologne !
La rencontre historique de Malte en décembre 1989 entre George Bush et Mikhaïl Gorbatchev scelle le sort de Ceausescu : il doit quitter le pouvoir coûte que coûte. Alors, à une révolte légitime et réelle du peuple roumain se juxtapose un coup militaire qui renverse Ceausescu du pouvoir et dont il est victime après avoir subi un procès, très superficiel, devant une cour martiale.
La nouvelle architecture du système international imaginée par Gorbatchev ne perdurera pas, à cause des mouvements nationalistes qui réclament l’indépendance des républiques soviétiques qui formaient l’URSS. Sa dissolution à la fin de 1991, avec la démission de Gorbatchev, pousse le prochain homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine, à caractériser ce moment comme étant « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle » !
L’incidence fut en effet marquante puisque le nouvel ordre international d’après 1991 est devenu plus stable : trois décennies de paix sans conflit entre les grandes puissances, l’Allemagne qui se réunifie et redevient un acteur commercial global (sans être une puissance militaire), l’Union européenne (qui englobe d’ex-pays communistes) qui devient un grand espace des libertés individuelles et un marché commun des plus enviables.
Malgré l’état d’équilibre relatif dans lequel se trouvent actuellement les puissances mondiales, on peut se demander jusqu’à quand cette période va perdurer ? L’idéologie communiste (transformée elle aussi face aux pressions économiques) sur laquelle reposent encore des régimes politiques de l’Orient pourrait-elle constituer un prétexte pour d’autres mouvements qui visent son abandon ? Les trois décennies qui se sont écoulées depuis la chute du communisme dans l’Europe de l’Est nous donnent-elles assez de recul pour tirer les conclusions appropriées quant à la nécessité de changer les systèmes politiques qui se revendiquent encore de cette idéologie ?
Source: LE DEVOIR