Autor: Rares Burlacu, Lector Quebec ENAP, Cercetator asociat ISEE
La véritable leçon à tirer pour le Canada, dans ces circonstances, est que sa diplomatie doit faire le calcul prix-bénéfice dans les actions qu’elle entreprend sur la scène internationale.
Indiscutablement, une première à noter cette semaine dans la vie politique canadienne: nous sommes confrontés à une crise diplomatique attribuable à un message au contenu diplomatique, envoyé à travers les réseaux sociaux, en l’occurrence Twitter.
L’usage des messages sociaux comme outil de communication, qui sert à des fins de diplomatie publique, est un phénomène nouveau et le ministère des Affaires étrangères du Canada fut le premier au monde parmi les institutions similaires, en 2003, à établir une plateforme interactive de communication en ligne.
Plus tard, en 2014, lors d’une visite en Silicon Valley, John Baird, a lancé le comte Twitter @Canada. Sans doute, le pays était à l’avant-garde dans ce domaine, mais l’incompressibilité du fonctionnement du système international en général, et du contexte saoudien en particulier, a contribué au déclenchement de la crise.
Le ministère des Affaires étrangères du Canada fut le premier au monde, en 2003, à établir une plateforme interactive de communication en ligne.
D’abord dans les opérations de diplomatie publique, tout pays, Canada compris, s’adresse avec ses messages à un public étranger en passant par-dessus de la tête des diplomates et des dirigeants du pays récepteur de ses communications, en espérant un ralliement de la population concernée à la politique extérieure du pays émetteur.
Le message Twitter de la ministre Freeland appelait alors le peuple saoudien à rejoindre sa position, celle de la défense des droits de l’Homme et éventuellement être en accord avec la demande canadienne de libération «immédiate» des militantes arrêtées.
Or, un tel geste a été perçu comme une attaque directe au pays en cause, qui considérait le message comme un affront aux leaders politiques qui gère les affaires gouvernementales et qui étaient dépourvus instantanément de tout pouvoir administratif face à cette initiative canadienne de cyber diplomatie.
La seule constante de l’Arabie saoudite
Toute l’histoire politique du Royaume de l’Arabie Saoudite repose sur une seule constante, soit la préservation de son État avec l’aide de sa monarchie tribale et d’une théocratie à caractère islamique.
Deux grandes familles contrôlent le gouvernement du pays depuis plus de deux siècles. La hiérarchie politique est structurée autour des monarques de la famille Al Saud, qui exerce le pouvoir à travers un réseau très élaboré de tribus, dont la loyauté exige le respect des obligations qu’ils assument et qu’ils contrôlent tant au niveau des affaires intérieures qu’extérieures.
Forgés dans la pureté religieuse, combinée avec une force militaire redoutable (nécessaire à établir l’ordre dans le Royaume pour y assurer sa pérennité), les princes saoudiens exercent le pouvoir d’une manière très conservatrice, en s’engageant à gouverner le berceau d’Islam avec une austère et stricte interprétation des principes religieux.
À l’intérieur d’un système opaque et peu visible pour l’opinion publique nationale et internationale, ces princes, véritables piliers de l’administration, sont en quête permanente d’un consensus dans lequel les membres plus éloignés de la famille royale ont un mot à dire. Les citoyens ordinaires, auxquels le message canadien fut transmis, y ont décelé un certain degré de pouvoir possible dans les décisions publiques.
Les détenteurs du pouvoir perçoivent toute interaction non désirée comme une menace à leur propre sécurité.
Les détenteurs du pouvoir perçoivent alors toute interaction non désirée comme une menace à leur propre sécurité. Les questions des droits de l’Homme entrent dans une panoplie des sujets qui peuvent provoquer l’étincelle pouvant mener au déclenchement d’une potentielle révolution qui pourrait chambouler l’ordre qui règne au Royaume. Une telle perspective va à l’encontre de toutes les démarches qui ont été effectuées même dans la politique étrangère du Royaume.
Les diplomates saoudiens sont connus pour la réserve et la discrétion qui accompagne leur modus operandi. La prudence est de mise dans les relations internationales qu’ils développent (même avec les États-Unis, pays envers lequel ils montrent une loyauté hors pair) et même dans des moments cruciaux, ils sont distants par rapport à l’urgence d’une situation jugée intenable.
Des experts nous disent qu’ils ont développé une forme d’art à masquer leur vulnérabilité sur la scène internationale.
Des experts nous disent qu’ils ont développé une forme d’art à masquer leur vulnérabilité sur la scène internationale. On peut apporter des exemples en faveur de ces arguments en remémorant l’attitude détachée par rapport à l’embargo pétrolier institué en ’73 (les ressources dont elle disposait étaient amplement suffisantes, il faut le rappeler).
Ces attributs de la diplomatie saoudienne ne peuvent pas changer, parce qu’ils pourront être perçus comme une déviation des préceptes religieux de l’Islam.
Comment peut-on réconcilier les relations entre le Canada et l’Arabie saoudite?
Comment trouver une solution diplomatique à la crise qui s’est installée depuis quelques jours? On est devant une confrontation entre deux écoles de pensée qui font le délice des chercheurs académiques: celle libérale contre celle réaliste.
Le courant libéral adopté par le Canada, au niveau conceptuel et transposé en pratique par la ministre Freeland considère, entre autres, qu’il revient à un système politique basé sur le droit de réguler les rapports internationaux. Le droit international constitue alors le socle sur lequel la paix entre les États doit reposer. Considérés sous ces angles, les intérêts nationaux des démocraties résident dans la propagation de leur modèle politique qui devrait apporter, tôt ou tard, la paix dans les relations internationales.
De l’autre côté, l’Arabie saoudite appartient à l’école dite «réaliste» qui entrevoit les stratégies de la politique étrangère d’un État comme une forme d’agrégation du pouvoir, basée sur des instruments de la puissance (qu’ils soient militaires, économiques, culturels). Dans ce cas, l’intérêt national se définit exclusivement en ces termes de puissance. La survie de l’État se soucie donc très peu des règles et des normes du droit international.
Il est impératif que la communication entre le Canada et l’Arabie saoudite reste ouverte, même par des canaux non officiels.
L’excessive cautèle des déclarations des partenaires des deux pays, qui disposaient d’un levier d’intervention pour contenir la crise amorcée (les États-Unis et l’Union européenne) montre à quel point le choix d’une ligne de pensée est difficile. Pourtant, il est impératif que la communication entre le Canada et l’Arabie saoudite reste ouverte, même par des canaux non officiels (la France pourrait jouer un rôle d’intermédiaire grâce à ses contacts privilégiés avec les deux parties).
Un vaste chantier de négociations devrait être organisé par la suite entre le Canada et l’Arabie saoudite. La situation du Canada dans le Moyen-Orient n’est pas reluisante du tout en ce moment, puisque des acteurs importants se sont ralliés à la position saoudienne (l’Égypte, les Émirats arabes unis). Les tractations commerciales sont plus faciles à aborder lors d’un tel cadre de discussion. Les questions les plus épineuses comme les droits de l’Homme peuvent faire l’objet d’une entente séparée, supervisée par des instances internationales.
La véritable leçon à tirer pour le Canada, dans ces circonstances, est que sa diplomatie doit faire le calcul prix-bénéfice dans les actions qu’elle entreprend sur la scène internationale (on continue les négociations sur l’ALENA dans une position de faiblesse après cet épisode). La superficialité dans la communication numérique ou bien la défense des concepts libéraux se fait aussi avec des instruments de puissance militaire.
Comment pense-t-on obtenir des résultats quand la contrepartie ne se plie pas à notre volonté ? Comment défendre nos positions lorsqu’on est seul dans la diffusion de nos idéaux? Chose certaine, Richelieu aurait répondu, à l’époque, par la «négociation continue» et surtout pas par des médias sociaux!
*Articolul a fost publicat initial aici.